I - L'infiniment petit


Dans ce chapitre nous étudierons l’infiniment petit à travers l’atome, son noyau atomique, le modèle standard,  et enfin la vision des écrivains sur l’infiniment petit.

A. Atome

Le monde qui nous entoure est constitué de matière et l’élément constitutif de cette matière est appelé l’atome* (2), c’est à dire la plus petite particule d’un corps pouvant se combiner chimiquement avec un autre corps. Le terme atome vient du grec ancien "atomos" (ἄτομος) qui signifie "insécable" c’est à dire "qui ne peut être divisé". Dans la Grèce Antique, Démocrite et Leucippe (environ 400 av. JC) furent les premiers à soumettre l’hypothèse que la matière à une certaine échelle est insécable. Cependant, aujourd’hui grâce au travail de nombreux scientifiques, on a réussi à comprendre que même l’atome est constitué de différentes particules appelées particules subatomiques*.

L’atome peut être représenté comme une petite sphère comportant un noyau qui concentre quasiment toute sa masse (99,9%) et d’un nuage électronique constitué d’électrons gravitant autour de ce noyau. L’ordre de grandeur de la taille de l’atome est 10-10 m alors que celui du noyau est 10-15 m. On comprend alors que l’atome est essentiellement constitué de vide. On qualifie la matière comme étant lacunaire, c’est-à-dire composée de nombreux espaces vides. L’atome sous sa forme isolée (représenté par les deux schémas ci-dessous) est électriquement neutre. En effet, les électrons* sont des particules chargées négativement tandis que dans les nucléons, il existe des neutrons* qui sont des particules électriquement neutres et des protons*, particules chargées positivement d'où la stabilité de l’atome.

Les atomes sont classés par leur numéro atomique nommé Z, c’est-à-dire par le nombre de protons contenus dans leur noyau. À chaque numéro atomique correspond un élément chimique. Par exemple l’hydrogène possède un proton, le carbone six protons et l’uranium 92 protons. Le tableau de la classification périodique des éléments de Dmitri Mendeleiev (1834-1907), proposé en 1869, range les éléments chimiques par colonnes qui regroupent des éléments dont les propriétés chimiques sont similaires.

B. Noyau atomique

Au cœur de l’atome se trouve son noyau atomique : édifice complexe constitué de neutrons et de protons collectivement appelés nucléons. L’atome peut avoir plusieurs formes distinctes qui changent en fonction de son noyau : des formes avec un noyau stable* (leur durée de vie est alors infinie) et d’autres avec un noyau radioactif (ils se détruisent spontanément au bout d’une durée plus ou moins longue). Parmi les différents isotopes* possibles d’un élément, seuls certains sont stables, les autres étant radioactifs. Par exemple, l’isotope instable du carbone est 714C  alors que les carbones 712C  et 713C sont stables.

Les noyaux radioactifs peuvent être formés soit naturellement, soit par bombardement de neutrons sur un noyau, l’isotope de l’élément est alors artificiel*. Ils changent de structure par désintégration nucléaire. Il y a alors transmutation* d’un élément chimique en un autre. La désintégration est accompagnée d’une émission d'énergie sous forme de rayonnement ionisant*. Il existe trois rayonnements types :

  • les rayons α (alpha)
  • les rayons β (bêta)
  • les rayons γ (gamma)

Les trois rayonnements sont de nature différente : le rayonnement alpha est constitué d’un noyau d'hélium avec deux protons et deux neutrons. Le rayonnement Bêta est constitué d’un électron. Le rayonnement gamma est constitué d’un photon gamma. Chacun des rayonnements a une pénétration différente que l’on peut observer sur le schéma suivant :

Ci-dessous l’équation chimique du polonium 210 qui se désintègre en plomb 206 avec une radioactivité alpha :

Ici le polonium 210, qui est un noyau radioactif, s’est désintégré en plomb 206 qui est un noyau stable.

Un  élément chimique radioactif peut subir plusieurs transformations avant de devenir un élément stable. Enfin l’intensité de la radioactivité décroît au cours du temps, parce que le nombre de noyaux radioactifs diminue au fur et à mesure qu’ils se désintègrent.

C. Le modèle standard

Nous passons désormais à l'échelle du femtomètre (1) où seulement trois interactions (la quatrième étant la gravitation qui est négligeable) sont

prédominantes :

  1. l’interaction forte,
  2. l’interaction faible,
  3. l’interaction électromagnétique.

À cette échelle nous trouvons les premières particules élémentaires. Ces particules  possèdent un nombre quantique* appelé spin, qui est une propriété prenant des valeurs discrètes. Le modèle standard est une des théories les plus connues et a été développée tout au long de XXe siècle. Ce modèle permet de décrire avec précision les événements qui se passent dans les plus grands accélérateurs de particules* au monde tel que le LHC (2). Un tableau de toutes les particules considérées comme subatomiques* est représenté ci-dessous.

Il existe deux grandes familles de particules élémentaires. Celles-ci sont les fermions, qui possèdent un spin demi-entier (1/2, 3/2 etc.), et les bosons, qui possèdent un spin entier. Les quarks et les leptons possèdent un spin demi-entier, par conséquent  ils appartiennent à la famille des fermions. Toutes les particules possèdent un rôle unique et nécessaire lors de  l’assemblage d’un atome. Les quarks entrent dans la composition des hadrons* et sont liés par l’interaction forte. Il y a six saveurs* de quarks différentes mais seul deux sont présentes dans la nature : le quark up et le quark down. Les protons sont constitués de deux quarks up et un quark down et les neutrons de deux quarks down et un quark up. La charge électrique des quarks détermine la charge électrique d’un hadron, selon la formule ci-dessous :

q = Qquark 1 + Qquark 2 + Qquark 3

avec q la charge électrique du hadron et Q la charge électrique du quark.

À l’instar des quarks, les leptons sont sensibles à l’interaction électrofaible et insensibles à l'interaction forte. Trois saveurs de leptons sont connues : l’électron, le muon et le tau.

Les bosons de jauge sont des particules d’interactions à l’échelle du femtomètre. Ces particules sont représentées dans le tableau ci-dessous.

Le boson responsable de l’interaction forte est le gluon et il permet de lier des quarks afin de se former un hadron tel que le proton et le neutron.

Le boson de jauge responsable de l’interaction électromagnétique est le photon. Par exemple lors de la mise en contact de deux objets chargés électriquement, le photon est la particule médiatrice, c’est à dire qu’un échange de photon a lieu.

Les bosons de jauge responsables de l’interaction faible sont les bosons W+ W- et le boson Z°. Ces bosons font 100 fois la masse d’un proton.

Découvert en 2012 par des expériences effectuées au LHC, le boson de Higgs est la particule la plus récente du modèle standard. Le boson de Higgs n’est pas un boson de jauge. Cette particule élémentaire possède sûrement de nombreuses propriétés que les scientifiques n’ont pas encore déterminées. Une des propriétés de ce boson est d’attribuer une masse aux bosons de jauge.

D. La vision des écrivains sur l'infiniment petit

Après l’étude de cet infiniment petit qui est représenté, dans la physique, par l’atome et les particules subatomiques, nous allons maintenant voir comment est évoqué l’infiniment petit dans le domaine de la littérature.

1. Micromégas et l’infiniment petit

Présentation de Voltaire

 

François-Marie Arouet dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris et enterré au Panthéon le 30 mai 1778 à l’âge de 83 ans, est l’une des figures les plus connues du XVIIIème siècle dit le Siècle des Lumières.

Ce siècle incarne un mouvement philosophique et littéraire qui cherche à combattre les préjugés, les superstitions et les abus de pouvoir et valoriser ainsi la raison, l’esprit et la tolérance.

Voltaire est l’un des chefs de file de ce mouvement de pensée et au travers de nombreux écrits, il va lutter contre l’intolérance et le fanatisme religieux et mettre ainsi en valeur la liberté de penser, en utilisant souvent l’ironie. Ses écrits lui vaudront deux emprisonnements à la Bastille, l’un en 1717 et le second en 1726. Afin d’exercer pleinement son combat, il se retire en 1760 à Ferney en Suisse où il y mène une propagande philosophique qui rayonne sur toute l’Europe. Malgré son combat contre le dogme religieux, il croit cependant en un dieu unique, créateur et non révélé.

Au cours de sa vie, Voltaire a écrit toutes sortes d’ouvrages de nombreux poèmes, 56 pièces de théâtre, des dialogues, des ouvrages historiques pour le Roi, des romans, des essais, des pamphlets, des articles scientifiques et culturels et enfin des contes. Ses œuvres les plus connues sont Micromégas (1752) et Candide (1759), deux contes philosophiques critiquant vivement la métaphysique et l’intolérance religieuse et son dictionnaire philosophique, La raison par l’alphabet (1764) condamnant les abus de la politique et les injustices.

Voltaire a consacré sa vie à son œuvre philosophique et à son combat qui pourrait se résumer en une phrase : " Dans une république digne de ce nom, la liberté de publier ses pensées est le droit naturel du citoyen " (Voltaire, Politique, Législation, Affaires célèbres, 1792).

Le Micromégas de Voltaire

 

Micromégas est un conte philosophique écrit par Voltaire et paru en 1752. C’est un apologue (3) très représentatif de l’esprit des Lumières car il cherche à mettre en valeur la raison en dénonçant les injustices, l’intolérance religieuse, la guerre, l’anthropocentrisme (4) et en critiquant vivement la métaphysique (5).

La trame se déroule autour d’un personnage, un géant qui se nomme Micromégas, mesurant 24 000 pas, ce qui équivaudrait à environ 15 000 mètres, et habitant sur une étoile lointaine, Sirius. Ce géant est un passionné des sciences et pour assouvir sa soif de connaissance, il se met à voyager de planète en planète.

Dans son voyage, il rencontre alors un habitant de Saturne, secrétaire à l’Académie de Saturne et philosophe, avec qui il entreprend une quête philosophique dans l’espace et surtout sur Terre. Ainsi, sur Terre il découvre les humains et converse avec eux. A la fin de son voyage, il laisse en cadeau aux hommes un livre "tout blanc" sur la métaphysique qui représente la morale du conte : le savoir total est inaccessible pour l’homme et le livre appelle donc à la sagesse qui consiste à accepter d’être ignorant sur certaines choses et à faire preuve de tolérance.

Le conte Micromégas se sert de l’infiniment petit et de l’infiniment grand pour faire une thèse sur le relativisme (6). D’abord avec le titre, l’auteur oppose "micro" qui signifie très petit et "méga" qui signifie géant. Il parle aussi d’une relation entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Aussi, Voltaire montre que le "petit" et le "grand" sont des notions relatives. Effectivement, sur Terre, les hommes sont perçus comme des "atomes qui se parlent" et le saturnien est vu comme un géant, du point de vue des hommes. Bien qu’à côté de Micromégas, ce soit un "nain".

Enfin, Voltaire démontre que la petitesse des humains face aux géants n’a aucun rapport avec l’intelligence et qu’on ne peut pas acquérir le savoir total. L’homme cite une phrase en grec que le géant lui ne comprend pas et le géant lui apprend ce qu’est la matière, qui compose toute chose sur Terre, et dans l’Univers. Micromégas illustre la méthode d’appréhension de l’homme et ses résultats. Alors que l’homme possède une nature exceptionnelle selon la religion chrétienne, Voltaire le débarrasse de cette singularité pour le remplacer dans une chaîne infinie et encore inconnue d’êtres à travers l’Univers.

2. Gulliver et l’infiniment petit

Présentation de Jonathan Swift

 

Jonathan Swift, né en Irlande à Dublin le 30 novembre 1667 et mort le 19 octobre 1745 dans cette même ville à l'âge de 77 ans, est un écrivain anglais, satiriste et pamphlétaire (7), célèbre pour avoir écrit Les Voyages de Gulliver (1726). Swift est une figure emblématique irlandaise ayant défendu les droits, la liberté et l’indépendance de son pays. Sur sa tombe est écrit : "Va ton chemin, voyageur, et imite si tu le peux l’homme qui défendit la liberté envers et contre tout".

Orphelin de père, il fut d’abord élevé par ses oncles jusqu’à la fin de ses études à Trinity College. Il quitte l’Irlande en 1688, pour l’Angleterre où habite sa mère, et entre comme secrétaire au service de Sir William Temple, membres du Parlement, tout en poursuivant des études de théologie. Lors de la mort de Sir William en 1699, Swift revient en Irlande en 1700 et mène alors une carrière publique de vicaire, d’écrivain et d’hommes politiques. Esprit indépendant, il ne fait aucune concession. Son premier livre, Le Conte du Tonneau, paru en 1704, est une véritable satire des hommes politiques de son époque. De même dans son célèbre ouvrage Les Voyages de Gulliver, qui est publié en 1726, il se livre à une critique sévère et désespérée des hommes. Ces récits fantastiques et remplis d’humour noir obtiennent un vif succès auprès des enfants, bien qu’ils s’adressent avant tout aux adultes. Son influence ne cesse de croître, jusqu’en 1713, année de son exil à Dublin. Souvent décrit comme un misanthrope altruiste, Swift, qui ne cessa de dénoncer la cruauté dont l’homme est capable, persista à croire en la perfectibilité humaine.

Gulliver

 

Les Voyages de Gulliver publié en 1726 est l’une des oeuvres les plus connues de Jonathan Swift. C’est une satire sociale et politique de la société anglaise du XVIIIème siècle en mêlant conte philosophique, science-fiction, logique et fantastique. Ce livre se divise en quatre parties, qui représentent les quatre voyages de Gulliver à travers le monde et qui l'amènent à rencontrer des civilisations toutes plus étonnantes les unes que les autres.

Dans la première partie, voyage à Lilliput, Gulliver est fait prisonnier, après un naufrage, par des êtres de six pouces de hauts (environ 15 centimètres), les Lilliputiens. Dans la deuxième partie, voyage à Brobdingnag, Gulliver entreprend un deuxième voyage et se retrouve à Brobdingnag. Il se retrouve alors dans la situation inverse de Lilliput : tous les Brobdingnagiens sont des géants éclairés, doux et pacifiques. Dans la troisième partie du livre, voyage à Laputa, Balnibarbi, Glubbdubdrib, Luggnagg et au Japon, Gulliver se retrouve dans différents endroits : sur une île volante dont les habitants sont obsédés par l’astronomie, les mathématiques et la physique ; puis il revient sur terre où il découvre les habitants de Balnibarbi et que les fonds ne servent qu’à alimenter les recherches de la science ; par la suite il se retrouve sur une île où résident des sorciers ; enfin il découvrira Luggnagg qui est un pays où résident des êtres immortels appelés les "Struldbruggs". Dans la quatrième partie, voyage chez les Houyhnhnms, Gulliver rencontre les Houyhnhnms qui sont des chevaux beaux et intelligents arrivés au sommet de la raison et de la sagesse. Swift pose ici une question de réflexion sur la différence entre les chevaux et les hommes.

A travers ces voyages et la description de ces civilisations, l’auteur dissimule une satire politique sur la société anglaise du XVIIIème siècle en s’inspirant de la situation sociale et économique de l'Angleterre. De manière détournée, il critique les vices de ses contemporains : la volonté de s'enrichir à tout prix, la corruption, le mensonge, la séduction, la jalousie et l'esprit guerrier.

Swift désoriente ses lecteurs dans ses récits. En effet l’auteur instaure un "mécanisme d’inversion" : Gulliver, géant à Lilliput, devient nain à Brobdingnag ; homme, il devient animal chez les Houyhnhnms ; mieux encore, c'est Gulliver qui, explorateur involontaire, devient objet de curiosité et d'étonnement. L’auteur laisse libre à ses lecteurs de nombreuses compréhensions sur la nature de l’homme et la vision déformée de la société.

Jonathan Swift emploie implicitement, dans les deux premiers voyages de Gulliver, la notion d’infiniment petit (voyage à Lilliput) et d’infiniment grand (voyage à Brobdingnag).

Dans voyage à Lilliput, Swift montre la puissance de ce peuple infiniment petit face à un géant. Au début du récit, Gulliver se retrouve ligoté par les lilliputiens, incapable de "faire le moindre mouvement". Cette situation est l’occasion de créer une correspondance entre la taille (le corps) et la connaissance (l’esprit). L’infiniment petit est évoqué implicitement par un Dieu qui a donné une intelligence à des personnes qui paraissent méprisables : "ils étaient d’une grande ingéniosité" et "ces gens qui sont d'excellents mathématiciens". L’auteur dissocie l’apparence physique de la connaissance et par là, de l’intelligence.

Dans voyage à Brobdingnag, l’auteur nous emmène, après un nouveau naufrage, à Brobdingnag où vivent des géants mesurant jusqu’à 30 mètres. Swift nous donne une histoire complètement différente de la première. Gulliver se trouve être "l’infiniment petit" comparé aux géants. Il profite de la petitesse de Gulliver qui explique au roi de Brobdingnag le système politique existant en Angleterre. L’auteur critique par l’intermédiaire du souverain les institutions anglaises.

 

On observe à travers ces deux exemples de livres que les écrivains emploient la notion d’infiniment petit pour montrer que la taille et l’importance de la personne n’empêchent pas celle-ci de raisonner, de comprendre, et d’avoir accès au savoir. De plus la notion d’infiniment petit permet aux écrivains de faire une critique politique, sociale et philosophique de la société dans laquelle ils vivent.


Notes :

  1. Unité de mesure dérivée du mètre valant 10-15 mètres. 
  2. Le Large Hadron Collider (LHC) est le plus grand accélérateur de particule au monde et a joué un grand rôle sur le modèle standard en 2012 grâce à la découverte du boson de Higgs.
  3. L’apologue est un récit court et plaisant, à portée argumentative, qui délivre un enseignement.
  4. L’anthropocentrisme est une attitude consistant à placer l’homme au centre de toute chose.
  5. La métaphysique est une réflexion philosophique qui a pour objet la connaissance rationnelle de la nature des choses.
  6. Le relativisme est un mouvement de pensée qui affirme qu’il n’existe pas de vérité absolue.
  7. Un écrivain pamphlétaire est un auteur de petit écrit en prose au ton polémique, c’est-à-dire violent et agressif, dans le but de contester un pouvoir ou un homme de pouvoir.

Lire la suite : II - L'infiniment grand